jeudi 9 mai 2013

PERCEPTIONS AUTOUR DU SIDA

             Une compréhension globale du sida dans ces multiples dynamiques requiert une perception sociale large.
              Le sida au Cameroun du fait de l’ignorance suscite bien des sentiments controversés, la peur pour certains, la curiosité pour d’autres, chez plusieurs des discours ironiques et une indifférence.  Dans les rues, on remarque une kyrielle de définitions, interprétations réelles ou imaginaires du sigle et des commentaires divers sur la maladie. On parle de « syndrome inventé pour décourager les amoureux », de « salaires impayés depuis avril » ou « encore salaires insuffisants et difficilement acquis ».  Le terme sidéen est ainsi   passé dans le lexique d’insultes en Afrique pour désigner un individu anormalement maigre.                                                                            Dans certains cas, l’homme a tôt fait de diagnostiquer un cas de sida chez un malade en état de dépérissement  et pour lequel, ni médecin, ni médicament n’ont pu réussir le malade ou à identifier une maladie connue (surtout si le sujet avait un comportement sexuel libertin).
           Le sida a également été le thème de quelques chansons, notamment au Cameroun avec  la chanson célèbre dont a été tiré l’indicatif de message de prévention radio diffusé et donnait un sérieux avertissement aux populations : «  le sida ne pardonne pas » que le public a tôt fait de réplique : «  le sida me pardonnera ».
          Le fait qu’il existe des traductions locales du sigle et ses commentaires rendent compte de l’impact certain des médias pour sensibiliser les populations sur ce mal dans un certain sens. Dans un sens, on est en droit de penser que ces interprétations pour le moins originales  expriment une autre réalité : le sida n’est pas sous nos cieux  une réalité primordiale pour les hommes comme  il l’et pour les services de santé. Face aux divers problèmes auxquels il doit faire face, le sida se trouve être un mal parmi d’autres  qui tendent à raccourcir de vie de l’Afrique.
               Le sexe qui reste l’un des loisirs à la portée de tout un chacun est le lieu de défoulement du trop pleins de frustrations. Et comment le laisserait-on interdire pensent les gens, ou en restreindre l’usage  en brandissant la menace du sida ? Comment pourrait-on laisser le préservatif ajouter aux frustrations déjà existantes, celles d’un rapport manqué à cause de la menace du sida ? C’est ainsi qu’il faut traduire ces réactions quelque peu surprenantes vis-à-vis du message de la prévention du sida.
              Dans le même sillage, seconde interprétation du sigle traduit le fait que l’état des salaires et la périodicité de payement de ceux-ci de plus en plus irréguliers,  constitue un souci plus immédiat que celui du sida, non seulement pour l’individu mais aussi pour toute une suite de parents dépendant de sa bourse pour subvenir à des besoins primaires.
             Pour la plus part de nos congénères, le sida s’il est reconnu comme incurable, reste la maladie de  « l’autre ». Avant, on en parlait comme une maladie des « européens » surtout qu’elle fut associée aux pratiques homosexuelles plutôt rares au pays. Plus tard, lorsqu’on dépista plusieurs cas au Cameroun, et que route une campagne d’information fut faite, le public commença à s’y intéresser sérieusement même lorsqu’à la télévision, ces action d’information présentaient des sidéens, plusieurs sont restés et restent sceptiques. L’argument brandi est que la personne n’a jamais vu un sidéen dans la réalité , soit que ces sidéens présentés à la télévision pourraient tout aussi être des malades frappés par d’autres maladies présentant les mêmes symptômes( tuberculose, touchés par la famine, cancéreux etc.) 
             En Europe, on avait même qualifié cette maladie de « cancer de gay » puisque ayant été décelé chez des jeunes homosexuels de NeW-York et de Californie. Si des découvertes ultérieures ont limité la validité de cette assertion, il n’en reste pas moins qu’elle touche plus fortement certains milieux haut risque en raison de ses habitudes sexuelles.
           Pour terminer sur ce qui est dit sur le sida, nous passeront à la strate de l’intelligentsia pour reprendre une des ses productions, interprétant également à sa manière le sigle. Un journaliste ivoirien l’a défini comme « le syndrome d’une intelligentsia déficitaire attaquée.» pour cette catégorie de personne, le souci primordial, le péril le plus grave menaçant l’Afrique serait celui de la diminution des intellectuels de la réflexion et celui de ses préoccupations  de la « chair ».
             Dans les sociétés dites animistes, la maladie est souvent conçue comme la conséquence d’une violation des lois divines, ou d’une offense aux esprits ancestraux ou encore d’une calamité venant de l’au-delà, de Dieu en état quasi permanent de courroux dont il faut  apaiser ou s’attirer des bénédictions par des rites et des célébrations diverses. Si avec l’introduction de la médecine moderne, nous ne sommes plus à ce stade, notons néanmoins que beaucoup considèrent que la maladie a des origines surnaturelles (sorts jetés, pratique maléfiques, sorcellerie etc.) et ici, le sida n’y échappe pas et (cela d’autant plus qu’il n’est pas soigné par la médecine classique). Selon Mara Viveras, « la relation entre médecines et maladies »  (D.Fassin, 1990), la manière dont les gens interprètent, classent les symptômes de la maladie détermine leur trajectoire thérapeutique, qui peur être orientée ou déviée à la suite d’une non satisfaction des résultats escomptés, par les soins prodigués à l’hôpital par exemple, amener le malade à se diriger vers les médecine parallèles (marabouts, divins, églises, hommes de dieu, guérisseurs, naturopathe etc.). Dans le même ouvrage, Marc-Eric G «  le malade et  sa famille » note que très souvent, les causes de la maladie et la trajectoire  thérapeutique est déterminée par la famille du malade. Le processus  dans lequel le malade est engagé( soupçons, conflits familiaux) aux différents praticiens se fonde sur une logique familiale ; toute la maladie qui n’est pas rapidement résorbée aboutit la plupart du temps à des soupçons d’agression d’un tiers( parents, voisins, collègues de travail, par l’intermédiaire oui non d’un fétiche) envers le malade : agression d’un sorcier  qui dévore le double du malade, mais aussi agression parfois involontaire par des fétiches ou tout simplement par des paroles énoncées à l’encontre du malade.
           Dans le même ordre d’idées, deux types d’interprétations ont aussi émergées, au début de cette épidémie, selon JODELET : dans un premier cas, on l’aperçoit comme une « maladie punition » « frappant la licence sexuelle ».
               Dans un autre cas, on la considère comme extrêmement contagieuse, au-delà de ce qui est rationnellement admissible.   Markovaé et Wilkie on ainsi relevé dans la presse des expressions où le sida est, comme le fut la syphilis, donné pour effet d’une société permissive, condamnation ders conduites dégénérées, punition de l’  « irresponsabilité sexuelle », fléau dont  « les bons chrétiens qui ne rêvent pas de se conduisent mal »sont épargnés. Elles observent corrélativement un repliement sur les valeurs familiales traditionnelles qui  est à la fois un garant de la protection contre la maladie et une défense d’un ordre moral conservateur. D’où la dénonciation des mesures visant à assurer uns vie sexuelle libre mais saine, par l’usage des préservatifs notamment.
               L’autre dimension de la représentation de cette maladie fait émerger une perception spécifique du mode de contamination qui « se fait aussi par la canal des liquides corporels autre que le sperme, en particulier, la salive et la sueur ». il s’agit d’anciennes croyances sur les « humeurs », observées par Jodelet  dans la représentation de la maladie mentale. » Ces croyances […] rapportent la contagion  par les liquides corporels à leur osmose avec le sang el le sperme. Ainsi en va-t-il pour la maladie mentale dont le dégénérescence affecte les nerfs, le sang et se transmet par la salive et la sueur ». Le sida ou la syphilis se propageaient de la même manière dans l’esprit de ceux qui adopteraient cette manière de penser, malgré les démentis des scientifiques.
 Cette résurgence des croyances archaïques s’opère à la faveur d’un manque d’information. Mais sa force tient aussi à sa valeur symbolique. Le danger du contact corporel est, depuis l’antiquité un thème récurant du discours raciste qui utilise la référence biologique pour fonder l’exclusion de l’altérité. Rappelons en effet, les funestes connotations de néologismes, émanant des partis extrémistes comme « sidaiques » ou encore « sidatorium ».
             Terminons par un exemple sur les perceptions autour de la maladie par le cas des femmes Tchadiennes. Leurs opinions vis-à-vis du sida sont tributaires de la qualité de l’information reçue sur cette pandémie. A la question de savoir si une personne en bonne santé pouvait être séropositive, la majorité de femmes soit 57,5% pensent qu’une personne en bonne santé ne peut être séropositive. La notion de séropositivité semble assez mal perçue par les femmes et celles-ci conçoivent la maladie du sida comme étant fatale. De ce fait, certaines femmes veillent sur la fidélité de leurs partenaires et d’autres s’en remettent à Dieu pour assurer leur protection contre le sida. C’est le cas des femmes Baguirmi et Tandjilé, l’exception est faite chez les femmes instruites. Percevoir le sida comme une fatalité au Tchad traduit le niveau extrême d’ignorance de la maladie. Les résultats de l’EDS montrent que la résidence, l’ethnie et le niveau d’instruction sont des facteurs déterminant pour comprendre que le sida est perçu comme une fatalité.


Bibliographie
  • Mara Viveras : la relation entre médecines et maladies, in sociétés, Developpement et santé, Didier Fassin et Yannick Jaffre et Al, Edition Marketing/ Ellipses, 1990

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