Une compréhension globale du sida
dans ces multiples dynamiques requiert une perception sociale large.
Le sida au Cameroun du fait de
l’ignorance suscite bien des sentiments controversés, la peur pour certains, la
curiosité pour d’autres, chez plusieurs des discours ironiques et une indifférence.
Dans les rues, on remarque une kyrielle
de définitions, interprétations réelles ou imaginaires du sigle et des
commentaires divers sur la maladie. On parle de « syndrome inventé pour
décourager les amoureux », de « salaires impayés depuis avril »
ou « encore salaires insuffisants et difficilement acquis ». Le terme sidéen est ainsi passé dans le lexique d’insultes en Afrique
pour désigner un individu anormalement maigre. Dans certains
cas, l’homme a tôt fait de diagnostiquer un cas de sida chez un malade en état
de dépérissement et pour lequel, ni
médecin, ni médicament n’ont pu réussir le malade ou à identifier une maladie
connue (surtout si le sujet avait un comportement sexuel libertin).
Le sida a également été le thème de
quelques chansons, notamment au Cameroun avec
la chanson célèbre dont a été tiré l’indicatif de message de prévention
radio diffusé et donnait un sérieux avertissement aux populations :
« le sida ne pardonne pas » que le public a tôt fait de
réplique : « le sida me pardonnera ».
Le fait qu’il existe des traductions
locales du sigle et ses commentaires rendent compte de l’impact certain des médias
pour sensibiliser les populations sur ce mal dans un certain sens. Dans un sens,
on est en droit de penser que ces interprétations pour le moins originales expriment une autre réalité : le sida
n’est pas sous nos cieux une réalité
primordiale pour les hommes comme il
l’et pour les services de santé. Face aux divers problèmes auxquels il doit
faire face, le sida se trouve être un mal parmi d’autres qui tendent à raccourcir de vie de l’Afrique.
Le sexe qui reste l’un des
loisirs à la portée de tout un chacun est le lieu de défoulement du trop pleins
de frustrations. Et comment le laisserait-on interdire pensent les gens, ou en
restreindre l’usage en brandissant la menace
du sida ? Comment pourrait-on laisser le préservatif ajouter aux
frustrations déjà existantes, celles d’un rapport manqué à cause de la menace
du sida ? C’est ainsi qu’il faut traduire ces réactions quelque peu
surprenantes vis-à-vis du message de la prévention du sida.
Dans le même sillage, seconde
interprétation du sigle traduit le fait que l’état des salaires et la
périodicité de payement de ceux-ci de plus en plus irréguliers, constitue un souci plus immédiat que celui du
sida, non seulement pour l’individu mais aussi pour toute une suite de parents dépendant
de sa bourse pour subvenir à des besoins primaires.
Pour la plus part de nos congénères,
le sida s’il est reconnu comme incurable, reste la maladie de
« l’autre ». Avant, on en parlait comme une maladie des
« européens » surtout qu’elle fut associée aux pratiques
homosexuelles plutôt rares au pays. Plus tard, lorsqu’on dépista plusieurs cas
au Cameroun, et que route une campagne d’information fut faite, le public commença
à s’y intéresser sérieusement même lorsqu’à la télévision, ces action
d’information présentaient des sidéens, plusieurs sont restés et restent
sceptiques. L’argument brandi est que la personne n’a jamais vu un sidéen dans
la réalité , soit que ces sidéens présentés à la télévision pourraient tout aussi
être des malades frappés par d’autres maladies présentant les mêmes symptômes(
tuberculose, touchés par la famine, cancéreux etc.)
En Europe, on avait même qualifié
cette maladie de « cancer de gay » puisque ayant été décelé chez des
jeunes homosexuels de NeW-York et de Californie. Si des découvertes ultérieures
ont limité la validité de cette assertion, il n’en reste pas moins qu’elle
touche plus fortement certains milieux haut risque en raison de ses habitudes
sexuelles.
Pour terminer sur ce qui est dit sur
le sida, nous passeront à la strate de l’intelligentsia pour reprendre une des
ses productions, interprétant également à sa manière le sigle. Un journaliste
ivoirien l’a défini comme « le syndrome d’une intelligentsia déficitaire attaquée.»
pour cette catégorie de personne, le souci primordial, le péril le plus grave menaçant
l’Afrique serait celui de la diminution des intellectuels de la réflexion et
celui de ses préoccupations de la
« chair ».
Dans les sociétés dites animistes,
la maladie est souvent conçue comme la conséquence d’une violation des lois
divines, ou d’une offense aux esprits ancestraux ou encore d’une calamité
venant de l’au-delà, de Dieu en état quasi permanent de courroux dont il
faut apaiser ou s’attirer des
bénédictions par des rites et des célébrations diverses. Si avec l’introduction
de la médecine moderne, nous ne sommes plus à ce stade, notons néanmoins que
beaucoup considèrent que la maladie a des origines surnaturelles (sorts jetés, pratique
maléfiques, sorcellerie etc.) et ici, le sida n’y échappe pas et (cela d’autant
plus qu’il n’est pas soigné par la médecine classique). Selon Mara Viveras,
« la relation entre médecines et maladies » (D.Fassin, 1990), la manière dont les gens
interprètent, classent les symptômes de la maladie détermine leur trajectoire thérapeutique,
qui peur être orientée ou déviée à la suite d’une non satisfaction des
résultats escomptés, par les soins prodigués à l’hôpital par exemple, amener le
malade à se diriger vers les médecine parallèles (marabouts, divins, églises,
hommes de dieu, guérisseurs, naturopathe etc.). Dans le même ouvrage, Marc-Eric
G « le malade et sa famille »
note que très souvent, les causes de la maladie et la trajectoire thérapeutique est déterminée par la famille
du malade. Le processus dans lequel le malade
est engagé( soupçons, conflits familiaux) aux différents praticiens se fonde
sur une logique familiale ; toute la maladie qui n’est pas rapidement résorbée
aboutit la plupart du temps à des soupçons d’agression d’un tiers( parents,
voisins, collègues de travail, par l’intermédiaire oui non d’un fétiche) envers
le malade : agression d’un sorcier
qui dévore le double du malade, mais aussi agression parfois involontaire
par des fétiches ou tout simplement par des paroles énoncées à l’encontre du
malade.
Dans le même ordre d’idées, deux
types d’interprétations ont aussi émergées, au début de cette épidémie, selon
JODELET : dans un premier cas, on l’aperçoit comme une « maladie
punition » « frappant la licence sexuelle ».
Dans un autre cas, on la
considère comme extrêmement contagieuse, au-delà de ce qui est rationnellement
admissible. Markovaé et Wilkie on ainsi relevé dans la presse des
expressions où le sida est, comme le fut la syphilis, donné pour effet d’une
société permissive, condamnation ders conduites dégénérées, punition de
l’ « irresponsabilité sexuelle », fléau dont « les bons chrétiens qui ne rêvent pas
de se conduisent mal »sont épargnés. Elles observent corrélativement un
repliement sur les valeurs familiales traditionnelles qui est à la fois un garant de la protection
contre la maladie et une défense d’un ordre moral conservateur. D’où la dénonciation
des mesures visant à assurer uns vie sexuelle libre mais saine, par l’usage des
préservatifs notamment.
L’autre dimension de la
représentation de cette maladie fait émerger une perception spécifique du mode
de contamination qui « se fait aussi par la canal des liquides corporels
autre que le sperme, en particulier, la salive et la sueur ». il s’agit
d’anciennes croyances sur les « humeurs », observées par Jodelet dans la représentation de la maladie
mentale. » Ces croyances […] rapportent la contagion par les liquides corporels à leur osmose avec
le sang el le sperme. Ainsi en va-t-il pour la maladie mentale dont le dégénérescence
affecte les nerfs, le sang et se transmet par la salive et la sueur ». Le
sida ou la syphilis se propageaient de la même manière dans l’esprit de ceux
qui adopteraient cette manière de penser, malgré les démentis des
scientifiques.
Cette résurgence des croyances archaïques s’opère
à la faveur d’un manque d’information. Mais sa force tient aussi à sa valeur
symbolique. Le danger du contact corporel est, depuis l’antiquité un thème récurant
du discours raciste qui utilise la référence biologique pour fonder l’exclusion
de l’altérité. Rappelons en effet, les funestes connotations de néologismes,
émanant des partis extrémistes comme « sidaiques » ou encore
« sidatorium ».
Terminons par un exemple sur les
perceptions autour de la maladie par le cas des femmes Tchadiennes. Leurs
opinions vis-à-vis du sida sont tributaires de la qualité de l’information reçue
sur cette pandémie. A la question de savoir si une personne en bonne santé
pouvait être séropositive, la majorité de femmes soit 57,5% pensent qu’une
personne en bonne santé ne peut être séropositive. La notion de séropositivité
semble assez mal perçue par les femmes et celles-ci conçoivent la maladie du
sida comme étant fatale. De ce fait, certaines femmes veillent sur la fidélité
de leurs partenaires et d’autres s’en remettent à Dieu pour assurer leur protection
contre le sida. C’est le cas des femmes Baguirmi et Tandjilé, l’exception est
faite chez les femmes instruites. Percevoir le sida comme une fatalité au Tchad
traduit le niveau extrême d’ignorance de la maladie. Les résultats de l’EDS montrent
que la résidence, l’ethnie et le niveau d’instruction sont des facteurs
déterminant pour comprendre que le sida est perçu comme une fatalité.
Bibliographie
- Mara Viveras : la relation entre médecines et maladies, in
sociétés, Developpement et santé, Didier Fassin et Yannick Jaffre et Al,
Edition Marketing/ Ellipses, 1990